Il est presque paradoxal d’intervenir dans l’enceinte d’une école (et de son cadre scolaire) pour accompagner de jeunes personnes vers une forme d’émancipation : ici, dans le domaine de l’écriture. Beaucoup d’enfants n’osent pas s’affranchir, ont besoin de consignes précises, se cramponnent à une posture d’élève : une posture familière, rassurante.
Aller en soi, chercher des mots, ne va pas de soi. Comment accueillir l’inconnu, l’expression d’un ressenti singulier, parfois troublant ? Comment oser prendre le risque de la nouveauté ? Comment s’ouvrir à la curiosité et à la découverte ?
À chaque proposition d’écriture, une nuée de doigts, de voix, se lèvent : « Est-ce qu’on a le droit de (faire ça)… ? Est-ce qu’on peut (faire ça)… ? ».
On me demande l’autorisation. De sortir du cadre, de la marge, d’une posture qu’elles ou ils connaissent. Dans l’espace créatif, transgressif, de l’écriture, je les encourage à s’octroyer tous les droits. Je leur redis ce beau jeu de mot croisé je ne sais où : écrire, c’est s’auteuriser. Oui, on peut tout s’autoriser en devenant auteur/autrice !
Oui, on a le droit d’écrire des fautes (on corrigera après si nécessaire). Oui, on peut transformer et même inventer des mots. Oui, on peut les scander, les répéter jusqu’à la transe. Oui, on peut triturer la langue, la boxer et la malmener (relire Michaux, Norge ou Verheggen). Oui, on peut même avoir recours aux « gros » mots, si c’est ce qui se présente au moment de l’écriture.
Je dis oui à tout. Et je leur demande d’arrêter de me demander l’autorisation. Je leur demande, en retour, d’enfin « s’auteuriser », de se détendre. De s’écouter à l’intérieur pour rencontrer l’écriture. Et se rencontrer soi, au détour des mots qui surgissent.
Julien Bucci,
le 18/11/2022