D’avril à juillet 2024, je suis intervenu auprès de personnes en situation de handicap intellectuel au sein de deux structures du Pas-de-Calais dans le cadre d’une résidence d’artiste financée par la DRAC des Hauts-de-France coordonnée par le BIP Arts et Santé Hauts-de-France. Cette résidence m’a donné l’opportunité de mobiliser mes compétences en bibliothérapie.
Être identifié
Afin d’être aisément reconnaissable par le public, j’ai pris l’habitude de porter systématiquement un tee shirt jaune floqué dans le dos d’un Poète en chantier, calligraphié au bic.
J’ai porté ce tee shirt tout le long, lors de chacune de mes interventions à la Résidence du Moulin (Carvin) et à l’ESAT Cédatra (sites de Ruitz et Labourse).
Afin de faire connaître mon travail d’auteur, j’ai commencé par proposer une série de séances de biblio-relaxation pour des habitants de la Résidence et des groupes d’ouvriers de l’Esat. Au cours de ces séances, j’ai lu à voix haute des extraits de mon recueil Au vert, au vent dans l’instant.
Des lettres à l’être
C’est en observant plusieurs habitants dessiner des pages et des pages de lettres, sans pour autant savoir ni lire ni écrire, que j’ai eu la conviction que nous pourrions partir de la graphie des lettres, de leurs formes, leurs courbes, pour parvenir à l’être, mots à mots.
J’ai animé une série d’ateliers d’expression poétique où le point de départ a été les lettres de nos prénoms. En les épelant, en les écoutant, en les faisant tourner en bouche, en cherchant des homonymes…
Des lettres du prénom à celles de l’être cher, des mots sont apparus. Des mots, des phrases adressées à un proche. Ou à soi.
Des mots dits ou écrits « en pensée », en amour. Ces mots, nous en avons pris soin car la plupart étaient fragiles.
Prendre soin des mots
En fin de résidence, une exposition a été présentée à la Maison de la poésie des Hauts-de-France (Beuvry), réunissant les mobiles, photos, modelages et poèmes qui ont été créés par les habitants et les ouvriers.
Certains poèmes étant particulièrement forts, porteurs d’une grande intimité, j’ai cherché un moyen de les protéger en les réunissant dans un écrin, une boîte où seraient contenus le poème et les lettres d’un mot important pour la personne, modelées dans l’argile.
Ces écrins, décorés avec des matériaux fluorescents, ont été présentés dans une salle éclairée par de la lumière Ultra-Violet. En touchant les boîtes, on pouvait déclencher la diffusion audio du poème contenu dans la boîte, enregistré par l’auteur ou l’autrice du texte.
Mon accompagnement à l’écriture est passé par le médium de la voix, la majorité du public étant en situation d’illettrisme. J’ai transcrit les pensées, les paroles, des participants, en les invitant à se connecter à une part d’eux-mêmes. Les poèmes apparus se sont révélés d’une grande force, chargés d’émotions et de sens.
J. est une pensée.
J’ai une pensée
Pour J.
J. est tout pour moi.
C’est ma pensée,
Ma fleur.
Je la regarde.
Je l’accueille
Pour moi.
Je lui donne de l’amour.
Je prends soin de ma fleur
Mon amour
Pour qu’il ne se fane pasPoème de N., habitante la Résidence du Moulin